L'histoire du savon de marseille
Le savon aurait été inventé par les Gaulois selon Pline l’Ancien.
Au Ier siècle, il écrit dans « Histoire naturelle » :
On emploie le savon inventé dans les Gaules pour rendre les cheveux blonds : il se prépare avec du suif et des cendres ; le meilleur se fait avec des cendres de hêtre et du suif de chèvre ; il est de deux sortes, mou et liquide.
Le savon de Marseille tel que nous le connaissons est un apport de la civilisation médiévale. C’est au Moyen-Orient, à Damas et à Bagdad, que se trouveraient les fondements de l’artisanat savonnier.
Il n’y avait pas d’apports d’huiles d’olive, mais de graisses animales (moutons et chèvres), d’alcalis extraits de végétaux incinérés. L’usage de cette pâte molle aux propriétés détersives avérées passe du Moyen-Orient au Maghreb, puis dans la péninsule ibérique sous domination arabe et de là gagne l’Italie et la Provence.
Dès le 12ème siècle, la cité phocéenne possède des manufactures de savon qui utilisent comme matière première l’huile d’olive extraite en Provence, et de la soude (le terme utilisé à l’époque pour désigner le carbonate de sodium) et qui provient des cendres des milieux salins de Camargue et d’autres plantes telles que les salicornes venues de Narbonne.
Le plus ancien artisan savonnier recensé dans les registres marseillais s’appelle Crescas Davin, en 1371 puis les premières fabriques sont créées au cours des décennies suivantes.Le développement de l'industrie
Les savonneries marseillaises se développent rapidement. Marseille bénéficie d’exemptions fiscales et sa position géographique et commerciale lui permet de s’approvisionner facilement en matières premières.
Les savons de Marseille sont vendus dans le royaume de France mais également dans toute l’Europe. La demande est si forte que les fabriques ne produisent pas assez de savons et certains pays se tournent vers l’Espagne, l’un des gros producteurs, jusqu’à ce que la guerre de Trente ans à partir de 1618 empêche les marchands de s’approvisionner en Espagne.
Tout au long du 17ème siècle, les savonniers marseillais augmentent leur production. En 1660, Marseille compte sept fabriques dont la production annuelle s’élève à près de 20 000 tonnes. Les savonneries utilisent des huiles d’olive du bassin méditerranéen dont certaines donnent au savon de Marseille une couleur blanche ou beige, idéal pour laver les étoffes fragiles.
L’industrie du savon est en pleine expansion et la savonnerie devient une importante source de revenus pour le royaume.
Le 5 octobre 1688, le fils de Colbert, le marquis Jean-Baptiste de Seignelay, secrétaire d’état à la Marine, promulgue un édit qui réglemente en treize articles le travail des fabriques et les matières premières à utiliser dans l’élaboration du savon.
L’article premier stipule que les manufactures doivent cesser leur activité l’été car la chaleur nuit à la qualité du savon et l’article deux que les huiles nouvelles ne pourront être employées qu’à partir du premier mai.
L’article III de l’édit précise les matières autorisées et interdites dans la fabrication du savon : « On ne pourra se servir dans la fabrique de savon, avec la barrille, soude ou cendre, d’aucune graisse, beurre ni autres matières ; mais seulement des huiles d’olive pures, et sans mélange de graisse, sous peine de confiscation des marchandises ».
L’utilisation du suif, la graisse animale ne rentre donc pas dans l’élaboration du savon de Marseille d’autant que le suif donne un savon de mauvaise qualité et abîme le linge or, le savon de Marseille est principalement utilisé à cette époque par les blanchisseuses et les lavandières.
Les articles suivants de l’édit de Colbert fixent la fabrication du savon de marseille selon un procédé de saponification spécifique appelé « procédé marseillais ». Il comporte cinq étapes : d’abord, les huiles végétales et la soude sont mélangées dans un grand chaudron à ciel ouvert, ce qui forme une pâte de savon ? C’est ce que l’on appelle l’empâtage.Ensuite vient le relargage la pâte est lavée plusieurs fois à l’eau salée pour éliminer la soude.
Puis c’est la cuisson, pendant dix jours.
La quatrième étape est le lavage qui débarrasse le savon de toute impureté.
Enfin, la liquidation consiste à laver une dernière fois à l’eau claire pour obtenir une pâte de savon pure et lisse.
Ensuite, pour obtenir le savon, la pâte est coulée à chaud dans des bassins appelés « mises » où elle va refroidir et se durcir pendant deux à trois jours, après la découpe, les cubes de savon sèchent à l’air libre pendant une semaine à quinze jours pour permettre à l’eau de s’évaporer.
L'apogée des savonneries marseillaises
- Le XVIIIème siècle
La peste de 1720 marque un coup d’arrêt pour l’industrie du savon comme pour toute l’économie marseillaise mais la trentaine de savonneries retrouvent rapidement leurs niveaux de production, des niveaux qui ne cessent d’augmenter, et les savons s’exportent jusqu’aux Antilles.
La recette du savon de Marseille est reprise dans plusieurs pays en Syrie, le fameux savon d’Alep suit la même fabrication que le savon de Marseille auquel sont ajoutés des huiles ou des graines de laurier.
Mais la Révolution puis l’Empire paralysent l’activité portuaire. Le blocus maritime entraîne une rupture de l’approvisionnement en matières premières et une flambée des prix des huiles d’olive.
La composition du savon est modifiée. Un nouveau procédé est mis au pointpar le chimiste Nicolas Leblanc, l’emploi de la soude artificielle, mais les savons à l’huile d’olive chauffée avec cette soude sont trop cassants à la découpe et d’autres huiles sont utilisées, de noix, de colza et de lin.
- L'âge d'or des savonneries marseillaises
Le savon de Marseille est utilisé pour la laine et les textiles mais aussi pour la toilette. Les fabriques se multiplient.
A l’Exposition universelle de 1855, un savon marbré remporte la médaille d’or. A celle de 1900, la médaille est attribuée au syndicat des Savonniers de Marseille et également décerné au savon Extra Pur La Vierge, fabriqué dans la savonnerie du même nom et qui revendique produire jusqu’à 50 000 kilos de savon par jour.
Pour avoir plus d’espace et produire davantage, les savonneries changent de quartier. Elles s’installent à partir du milieu du 19ème siècle dans le nord de Marseille qui est alors une grande campagne mais qui garde une proximité pour le commerce grâce au port de la Joliette.
Marseille est la ville où l’on produit le plus de savon en France. Avec les progrès industriels, les techniques de fabrication évoluent. Les moyens de manutention et l’outillage s’améliorent, la vapeur remplace la cuisson au feu nu avant l’arrivée plus tard de l’électricité, mais les savonneries, malgré leur expansion, restent artisanales dans leur mode de production.
Malgré la concurrence des savonneries anglaises et parisiennes qui utilisent les graisses animales, permettant des coûts de fabrication moins chers, Marseille résiste et compte quatre-vingt-une sociétés de savonneries au début du 20ème siècle contre une soixantaine moins d’un siècle plus tôt.
Le déclin des savonneries
- Extra pur, 72% d'huiles
Pour éviter les fraudes et que certains profitent de la notoriété du savon de Marseille pour fabriquer des produits de mauvaise qualité, le chimiste François Merklen, directeur technique de la savonnerie Charles Roux Fils, fixe en 1906 la formule du savon, à l’occasion de l’exposition coloniale, et qui fera le bonheur des publicitaires, « extra pur, 72% d’huiles».
L’authentique savon de Marseille doit comporter plus précisément 63% d’huiles végétales, de l’huile de grignons d’olives issue d’une deuxième pression des olives (la première est utilisée dans l’alimentation), de l’huile de coprah qui a des propriétés moussantes, ou de palme. Il faut ensuite ajouter 9% de soude ou de sel marin et enfin 28% d’eau.
En 1913, la production de savon avoisine les 180 000 tonnes. Marseille fournit la moitié de la production nationale, elle écoule 80% de ses savons sur le marché français et le reste à l’exportation.
- Le déclin
La première guerre mondiale marque une chute de la production.
Lors du déclenchement de la Seconde guerre mondiale, Marseille assure toujours la moitié de la production française et produit aussi des poudres de savon.
Les savonneries marseillaises continuent de produire pendant la guerre mais avec la pénurie des matières premières, les savons ne comportent que 12% d’huile, très loin des 72% habituels.
Après la guerre, l’essor des poudres à laver et des machines à laver électriques fait chuter la production, en 1958, il existe encore 38 savonneries mais au cours des décennies suivantes, le manque de compétitivité face à la concurrence d’autres producteurs de savon, notamment la Chine et la Turquie, aggrave la situation et accélère les fermetures des usines qui mettent la clé sous la porte.
Le retour du succès et le respect de dame nature
Aujourd’hui, le traditionnel Savon de Marseille, est un des emblèmes de la cité phocéenne qui se vend dans le monde entier et qui est même considéré comme un produit de luxe dans de nombreux pays.
Depuis mars 2003 la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a approuvé le terme « Savon de Marseille » qui n’est nullement une appellation d’origine contrôlée mais un procédé de fabrication.
Face à la multiplication des imitations distribuées par des industriels qui vendent du Savon de Marseille sans respecter scrupuleusement le savoir-faire, les savonneries traditionnelles de Provence ont créées deux associations l’Union des Professionnels du Savon de Marseille (UPSM) en 2011 et l’Association des Fabricants de Savon de Marseille (AFSM) en 2014 afin de protéger ce savon d’une appellation « Savon de Marseille ».
En 2013, Marseille Capitale Européenne de la Culture met à l’honneur les savonneries locales. Un savon monumental de trois mètres de haut et de dix-huit tonnes est exposé, surmonté d’un gigantesque robinet d’eau ouvert qui le fait fondre jour après jour